Vous n’avez jamais fini d’apprendre : Jacques Ferrari.

27 Novembre 2022
The vaulting review
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Vous n’avez jamais fini d’apprendre : Jacques Ferrari.

Vous n’avez jamais fini d’apprendre : Jacques Ferrari, l’homme de la voltige de la Renaissance.

Par Ilaria Luna

En juillet, j’ai suivi une clinique de voltige dans le Michigan, organisée par Great Lakes Equestrian Vaulting, et j’ai eu le privilège de travailler avec Jacques Ferrari de la Compagnie française Noroc, champion du monde masculin 2014. Depuis que j'ai commencé mon parcours de voltige, Jacques a été un modèle pour moi, non seulement pour sa capacité d'interprétation et son succès sur la scène internationale, mais aussi pour ses activités aux multiples facettes. De la formation d'athlètes de haut niveau aux performances équestres en passant par la création musicale, ses nombreux talents et sa remarquable créativité font de lui un véritable homme de la voltige de la Renaissance. Je tiens une nouvelle fois à remercier Jacques de m'avoir accordé cet entretien, que nous avons initialement réalisé en français. Ce qui suit est ma traduction anglaise.

laria: How and when did you discover vaulting?

It’s pretty simple: I was very young. My mother always liked horses, my sister did show jumping, so they wanted to get me into riding. I went to a small club near my house to try it, but it didn’t last very long because I could not stop watching the half of the arena doing vaulting classes at walk, so I decided to try it. After two years, I tried other sports, but I came back to vaulting because there were many things I liked about it. It also allowed me, at the time, to enter a sport-study program and I haven’t stopped since.

Ilaria : Vous vous distinguez sur la scène internationale par votre capacité à intégrer la danse, la gymnastique et l'interprétation musicale dans la discipline de la voltige, faisant du spectacle non seulement techniquement complexe et impeccable, mais aussi riche artistiquement, une véritable exposition à tous points de vue. Si vous deviez choisir parmi ces différentes compétences et éléments, lequel compte le plus ? Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes voltigeurs pour tirer le meilleur parti de leur formation ?

Pour moi, pour un voltigeur, la motivation est primordiale. Progresser davantage, comme dans tout sport, demande beaucoup de travail et de réévaluation. Le voltige est multifactoriel : il y a le cheval, l’aspect financier et géographique, l’entraîneur, l’état psychologique et mental, etc… Tous ces éléments forment un système qui détermine si l’on peut ou non atteindre des performances élevées.
De par mon expérience, je conseille aux voltigeurs de s'intéresser à tout et de développer leur pleine coordination dès le plus jeune âge. Il faut savoir que ce que l’on apprend entre huit et seize ans est ce qui va « forger » la rapidité avec laquelle vous progresserez. C’est une étape importante pour acquérir la maîtrise du corps, la conscience spatiale et les bases techniques pour exploiter pleinement votre potentiel. Bien sûr, vous pouvez aussi commencer la voltige plus tard et, avec beaucoup de détermination, d’analyse et de persévérance, arriver au même résultat.
De plus, j'encouragerais les voltigeurs à sortir de leur zone de confort en apprenant à voltiger avec différents chevaux afin de développer leur « ressenti » et leur notion de rythme. Le plus important est d'être vraiment en harmonie avec le cheval et de développer un « flow ». Lorsque vous avez un cheval que vous aimez, mais que vous vous entraînez également sur d'autres chevaux, vous pourrez créer un contact et une sensibilité encore plus pertinents sur votre propre cheval pour vous aider à comprendre votre style de voltige par la suite. Cela se développe également à partir du moment où vous commencez à prêter attention au placement de vos pieds, à vos lignes et à l’amplitude de vos mouvements. Il faut pouvoir absorber la foulée du cheval, qu’elle soit agréable ou désagréable, pour donner une impression de légèreté.
Parfois, le simple fait de jouer en musique sur le cheval, sans forcément mettre beaucoup de difficulté dans sa routine, permet d'apprendre à bouger sans être freiné par sa technique. Il est important d'éviter de se dire « une fois que ma technique sera bonne, je commencerai à danser », car selon moi la musicalité et l'interprétation n'ont pas besoin de difficulté pour être exceptionnelles. Et lorsque vous maîtrisez enfin la difficulté de votre exercice, vous devez d’abord être à l’aise avec la musicalité et l’interprétation pour que le résultat puisse être émotionnellement engageant.
Généralement, j’essaie de pousser les gens avec qui je travaille dans cette direction, même si cela ne leur plaît pas toujours au début. En effet, cela leur impose de sortir de leur zone de confort et d’améliorer leurs points faibles. Par exemple, travailler ainsi avec tous les membres passés par la Compagnie Noroc – comme Lambert Leclezio, Manon Moutinho, Quentin Jabet, Théo Gardies et bien d'autres – n'a pas toujours été simple mais leur a apporté beaucoup. Cela leur a permis de présenter la voltige comme en constant devenir, beaucoup plus artistique et aérien.
Si l’entraînement n’est pas plus exigeant que la compétition, alors la compétition devient l’exercice le plus difficile. D’autres pourraient dire qu’il faut s’entraîner dans les conditions les plus proches de celles dans lesquelles vous allez concourir. C’est vrai, mais, à mon avis, il faut aussi passer par des périodes de développement beaucoup plus complexes dans sa préparation avant cela.

Ilaria : Remarquez-vous des différences entre l'Europe et les États-Unis dans la manière dont les voltigeurs sont préparés et entraînés et/ou dans la pratique de la discipline dans son ensemble ?

Oui, il y a une différence entre l'Europe et les Etats-Unis. Pas forcément en termes de niveau, car il y a eu d'excellents voltigeurs qui sont venus des Etats-Unis et qui ont même été des modèles ou des sources d'inspiration pour moi. Cependant, il existe des styles, des mouvements et des idées très différents en Europe et aux États-Unis. C’est fascinant car cela participe à la diversité stylistique du sport. Je pense que pour développer une méthode qui fonctionne, il faut s’intéresser à tout et prendre ce qui nous paraît le plus pertinent parmi les autres méthodes. Cela fonctionne pour presque tout le monde, car chacun peut distiller de ses propres yeux ce qui manque à sa formation.
Par exemple, avant 2012, la France n’était pas très bonne aux imposés. Nous avons donc commencé à partir à l’étranger pour nous entraîner. J'ai personnellement eu la chance de travailler avec Jessica Lichtenberg, qui était l'entraîneur de l'équipe allemande de Neuss et aussi avec Rob de Bruin lorsqu'il n'était pas encore juge quatre étoiles. Ils m'ont beaucoup apporté sur les visions, les méthodes et le protocole de formation.
En France, nous avons étudié les techniques des Allemands, des Autrichiens, des Suisses, entre autres. On s'est dit : « C'est super, mais on peut encore le développer ». Ainsi, en reprenant les méthodes existantes et en améliorant les techniques, nous avons pu tendre vers le point ou le demi-point qui manquait. En dix ans, grâce au travail des athlètes et des entraîneurs, nous avons réussi à nous placer sur le devant de la scène internationale aux imposés.
Si nous parvenons à réussir malgré le petit nombre de voltigeurs de haut niveau que nous avons en France, c'est parce que nous nous concentrons sur l'individu et exploitons pleinement son potentiel. Mais en général, dans de nombreux autres pays, il existe des compétitions de qualification ; les fédérations attribuent des scores de buts pour certaines compétitions et « que le meilleur voltigeur soit sélectionné ».
Je trouve que cette idée de « survie du plus fort » n’est parfois pas assez nuancée. J'ai vu de nombreuses nations passer à côté d'un grand potentiel ou de médailles d'or à cause de ces règles. Je pense que lorsqu’on est sélectionneur d’athlètes, on ne peut pas se concentrer uniquement sur les qualifications. Il arrive parfois que ce processus ne favorise pas l’évolution d’un trio de voltigeurs (athlète, longeur et cheval) à fort potentiel. La dureté de certains critères de sélection peut parfois faire passer à côté d'un « Picasso », qui peut mûrir différemment ou plus tard que d'autres tout au long de la saison. C'est ma façon de voir les choses.

Ilaria : Vous êtes passée de la voltige de compétition au monde du spectacle. Quelles sont les différences les plus notables entre ces deux versions de la discipline ? Avez-vous rencontré des difficultés en travaillant avec un public qui n’a peut-être pas une connaissance approfondie du sport ?

Cela fait presque dix ans que je suis entré dans le monde des spectacles équestres. Récemment, nous avons même participé à des émissions télévisées comme « France’s Got Talent » et « Spain’s Got Talent ». De manière générale, en spectacle, le public est seul juge, contrairement à la compétition. Si vous parvenez à émouvoir, à surprendre et à transmettre quelque chose au public, il l'exprimera directement. Au contraire, lorsque la prestation n’est pas bien réalisée, on peut aussi le ressentir très vite. L’ambiance que l’on peut créer lors d’un spectacle permet vraiment d’être complètement immergé lorsque l’on souhaite partager une histoire. Par rapport à la compétition, dans les spectacles, on peut s'efforcer de communiquer ses intentions et ses désirs artistiques, qui peuvent parfois être effacés ou compressés dans le sport.
Le spectacle permet aussi d'avoir plus de temps, moins de contraintes réglementaires, de prendre plus de risques techniques ou artistiques sans craindre d'être perçu négativement lors des compétitions. La beauté du show, c'est l'opportunité de mettre en œuvre des idées qu'on n'aurait pas forcément exploitées en compétition. On apprend à transformer le plan A en plan B car « the show must go on». Tout ne se passe pas toujours comme on le souhaite, alors on apprend à rebondir, à réagir assez vite pour éviter une catastrophe.
L’inconvénient de la compétition est que la technique peut vite s’imposer sur l’aspect artistique. Mais lors d’un spectacle, la technique devient secondaire, l’art prend sa place et l’on vit pleinement son instant. Grâce à cela, j'ai pu devenir de plus en plus précis artistiquement. J'incorpore souvent des symboliques caché dans les spectacles. Mais je me suis rendu compte que certains publics ne percevaient pas ces messages comme je l'espérais. Il m’a donc fallu créer un pont entre le symbolique et le grand public. Cela m'a permis de progresser, d'aller chercher des limites vers lesquelles je n'aurais jamais poussé auparavant. Ce sont des contraintes, certes, mais des contraintes qui nous font évoluer.
Anthony Bro-Petit

Ilaria : Vous créez également de la musique pour les voltigeurs. Qu’est-ce qui vous a inspiré à commencer et y a-t-il un style particulier que vous préférez ? Selon vous, qu’est-ce qui fait une bonne musique de voltige et que vous vous efforcez de représenter dans votre travail ?

Oui, je fais de la musique pour les voltigeurs mais aussi pour les cavaliers de dressage. Je crée également pour la musique et l'image et j'aimerais m'étendre au patinage artistique et à d'autres sports. Avant d'avoir une carrière de haut niveau dans le voltige, j'ai failli entrer dans une célèbre école de musique à Paris. En fait, je me suis toujours senti un peu frustré de ne pas avoir choisi cette voie. Mais me voilà dix ans plus tard, en train d'y revenir et de me dire que j'ai finalement fait le bon choix. Parce qu’on ne peut faire du sport que pendant un certain temps. Mais tant que vous avez vos oreilles, vos mains et vos yeux, vous pouvez faire de la musique toute votre vie.
Depuis 2015, je travaille avec Henry Benoit, que j’ai rencontré de manière totalement inattendue. Sa mère travaillait juste à côté de l'endroit où nous nous entraînions et elle venait souvent nous dire que notre musique était trop forte. Plus tard, elle m'a présenté son fils qui était compositeur dans une école de musique à Los Angeles. J'avais beaucoup de projets que je voulais monter dans le domaine de la musique de voltige et Henry était intéressé à entrer dans ce monde. C’est là qu’une belle amitié et collaboration a commencé.
Nous nous entraidions et il m'a beaucoup appris sur les techniques musicales. De nos jours, la plupart de la musique est créée sur ordinateur ; vous pouvez créer de très belles musiques avec des instruments préenregistrés. C'était donc un choix évident pour moi d'introduire cela dans le monde de la voltige.
Je pense que mon style musical personnel est orchestral, lyrique et symphonique. J’aime les ensembles vocaux, qu’ils soient masculins, féminins ou enfants, mais aussi tout ce qui a des sonorités ethniques. Cependant, je ne me limite pas du tout à cela. En fait, en septembre 2022, mon nouvel album, MEDLEY, est sorti avec de nombreux styles de musique différents. Cette année, je me suis lancé le défi de travailler avec plusieurs genres (électro, latin, hip hop etc.). Ce n’était pas du tout ma « tasse de thé » au début, mais il faut rester ouvert d’esprit. Ce qui est fascinant, c'est que ces différentes orientations musicales apportent des éléments très intéressants. Je me suis nourris de cette diversité. En musique, on n’a jamais fini d’apprendre. C’est ce qui rend ce domaine incroyable.
Pour moi, une bonne musique de voltige est une musique qui a une âme, qui raconte une histoire. Peu importe le style ou l’instrument utilisé, qu’il s’agisse de quelque chose de joyeux ou de sombre. La musique doit raconter quelque chose en elle-même, avoir de la texture et être capable de transporter des émotions, même lorsqu'elle est plus contemporaine.
Je le dis aujourd’hui en 2022. Peut-être que dans dix ans j’aurai un avis différent en fonction de l’évolution de la discipline.

Ilaria : Une dernière curiosité pour moi et pour les lecteurs de The Vaulting Review : y a-t-il un personnage (littéraire, filmique ou artistique) ou un thème que vous aimeriez interpréter en voltige et pourquoi ?

Je dois admettre qu’en douze années d’expérience en tant que voltigeur et entraîneur de haut niveau, j’ai eu l’occasion d’exploiter un grand nombre de concepts, de thématiques et d’idées que j’avais en moi. Bien entendu, ils sont tous issus de films, de spectacles, de tableaux ou de romans déjà proposés par de grands artistes.

J'ai aussi eu l'occasion de voir des thèmes et des idées qui avaient été plus ou moins bien exploités en voltige, donc l'envie de réexploiter certaines choses et de les sublimer est toujours là. Aujourd'hui, je travaille de plus en plus avec des processus de création inspirés de choses ou d'idées déjà existantes. Je les adapte aux expériences, à la personnalité et aux envies des personnes avec qui je travaille afin de rendre les concepts innovants et uniques.

Il reste néanmoins quelques idées qui me parlent et que je n’ai pas encore réussi à exploiter pleinement. Tout d’abord, jouer avec les rythmes et les percussions corporelles pour former de la musique lors d'un programme. Aussi, je suis intrigué par l'idée de jouer avec les mots et les pensées intérieures qui guident nos actions, voire de s'orienter vers la danse à cheval à travers des musiques latines ou ethniques utilisant une symbolique culturelle. Quand je parle de « danse », je choisis ce terme car je pense qu'on peut aller encore plus loin que ce qui a été proposé jusqu'à présent.


En effet, avec l’aide de Jacques, nous avons pu visualiser nos routines et nos improvisations comme des occasions de véritablement danser à cheval, faisant ressortir l’essence artistique de la voltige. Merci, Jacques !

Posted by Nicoletta Capitanio | 27 Nov 2022 | INTERVIEWS

Article d'origine :

https://thevaultingreview.com/you-are-never-done-learning-jacques-ferrari-the-renaissance-man-of-vaulting-by-ilaria-lunanon-si-finisce-mai-di-imparare-jacques-ferrari-il-leonardo-da-vinci-del-volteggio-di-ilaria-luna/?lang=en

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